Réveil idyllique [Reira/Wazz]

Des cris d'oiseaux, là, loin dans ma tête. Ils piaillent, ils m'emprisonnent le crâne. Fais-les partir maman. Je veux pas, je suis fatiguée. Je suis trop épuisée pour les écouter, fais-les taire. Embrumée dans mon sommeil, je pousse les oiseaux de ma main. Ils me glissent entre les doigts. Ce sont de véritables ruisseaux ces oiseaux. Un bruit de clapotis, comme si de l'eau venait me caresser la plante des pieds. C'est froid. Vire de là, je dors ! Une vague vient me submerger les jambes, hii ! La brume se disperse. Je tente péniblement d'entrouvrir les paupières si lourdes de sommeil. Un ciel turquoise m'accueille. Je souris, Kiri, à nouveau ! Je reste quelques instants ainsi, allongée en étoile sur le sable chaud et le faisant glisser entre mes doigts, les yeux perdus dans le bleu du ciel et à la recherche de quelques nuages. Introuvables. Puis la brume s'enfuit avec le vol des oiseaux : je ne peux pas être à Kiri puisque j'appartiens désormais au Houmei ! Où est mon lit ? Où sont les murs nacrés de l'hôpital ? Où est passée notre base cachée ?!

Paniquée, je saute sur mes pieds et scrute les horizons, affolée. Pieds nus, chaussures posées sur le sable. Mon coeur inquiet bat la chamade, comme s'il avait perdu une part de son être. Rien, nulle part. Une immense étendue de sable doré, coincée entre une mer calme et turquoise et une végétation luxuriante colorée de fleurs multicolores. Joli, certes, mais très loin de mon cher Houmei. Cette bâtisse, cette cité, j'avais appris à l'aimer, à en connaître chaque recoin et me voici tout à coup plantée ici, sans même savoir comment j'y suis arrivée. Hum. Quel produit j'ai encore pu avaler pour en arriver là ?! Faut vraiment que j'arrête mes petits "tests d'efficacité aléatoires". Une nouvelle vague vient me chatouiller les pieds. Je souris. Au moins, l'environnement est magnifique pour un enlèvement. Mon dernier souvenir se résumait à deux sensations : un épuisement total dû à mon travail et un sérieux mal de crâne au moment de me coucher. Hum.

Rajustant ma robe noire sur mes épaules, je me décidais enfin à explorer les alentours. Il fallait que je découvre où j'étais, qui m'avait ramenée ici et surtout comment je pouvais retourner au Houmei. Tentant une dernière fois leur chance, mes yeux se promenèrent sur le paysage à la recherche d'un lieu ressemblant au Houmei mais sans succès. Seul le crin perçant d'un oiseau vint troubler ce silence et me montrer la direction. Bah, pourquoi pas. Emboîtant le pas à cette mouette blanche, quoiqu'un peu sale, je foulais le sable jusqu'à revenir près de cette végétation un peu plus au centre de l'île. Je jetais parfois quelques regrets vers cette fameuse mer que j'aimais tant. Au loin, d'autres petites îles s'enfonçaient dans la brume. Au moins je n'étais pas seule. Enfin je l'espérais : il me fallait trouver d'autres gens. En espérant que ce ne soient pas des civils voulant me faire la peau... Gloups. Avançons !

Chaussures à la main, mes pieds nus foulant enfin l'herbe verte, je cachais précipitemment ma peau blanche du soleil. De grands arbres feuillis me dissimulaient à présent des regards mais était-ce nécessaire... ? Après tout, il n'y avait pas âme qui vive ici. ... Tiens ?

Une étrange sensation s'était insinuée jusqu'à son échine. Comme un réflexe de bête traquée, observée. Y avait-il finalement quelqu'un dans les parages ? Une obsédante inquiétude s'empara de son ventre et ne la lâcha plus. Sa main glissa le long de sa cuisse pour saisir le manche d'un kunaï, garant de sa protection. Si la présence était menaçante, elle aurait du fil à retordre ! Mais ami ou ennemi... ?

- Montrez-vous !

La Peur torturait son ventre, son coeur sortait de sa poitrine, ses mains moites tenaient tant bien que mal ce fameux kunaï. Civil ou ninja, le kunaï ne trahirait pas forcément sa véritable identité. Et malgré elle, dans cette pesante attente, des souvenirs rejaillirent. Des bons, des mauvais. Des souvenirs d'amour, des souvenirs de guerre. Des souvenirs d'amitié et de tendresse, des souvenirs de souffrance et de mort. Des regrets. Ce qu'elle n'avait pas réussi à faire, ce qu'elle n'avait pas eu le temps de réussir. Elle qui avait rencontré tant de gens à Kiri. Elle qui s'en était enfuie en abandonnant ses parents et ses amis. Elle rattrapée par son passé et par le Houmei. Le renouveau puis la chute ici. La peur d'en finir aujourd'hui et ne pas avoir pu partir à la recherche de ceux qu'elle avait aimé. Le regret et la culpabilité torturait son âme. Un visage surtout traversa son esprit. Sa gorge se resserra furtivement mais elle l'en chassa vite : aujourd'hui elle allait peut-être mourir.

Attente...

C'était un matin comme les autres, en tout cas, un de ces matins pour lequel on se lève tout en sachant que ça ne servirait à rien. Il faisait assez beau, le ciel était clair, et la guerre était passée. Mais le massacre, lui, continuait. Depuis combien de temps était-il caché sur cette île ? Depuis le début. Lorsque Kiri no Kuni fut réduit en cendres, il était en mission. Une mission d'espionnage que lui avait confié son père. Surveiller les frontières du pays du feu... Et il y en avait des choses à dire. Le ninja s'était aventuré dans les terres, et il avait pu assister à l'attaque de Konoha par des... civils. Quelle ironie, tués par ceux qu'ils protégeaient. Rien de plus facile que de donner un coup de couteau dans le dos de celui qui se bat pour nous protéger, accaparé à nous défendre, il présente son dos. Quand il fut de retour vers Kiri, c'était trop tard. Cependant, ces étranges troupes civiles étaient toujours présentes. Alors, dans la nuit, il s'enfuit à la nage... Puis, il se laissa flotter au gré des flots, et parvint sur cet archipel... Il choisit l'île la plus agréable, et s'y construit un cabanon. Petit à petit, d'autres ninjas passèrent sur cette île, des ninjas de toutes sortes... Les premiers arrivèrent par hasard, puis petit à petit, ils portèrent la rumeur, d'autres personnes vinrent coloniser l'île du jeune ermite espèrant y trouver un havre de paix. Il ne dit rien, laissa les gens s'installer, les aidant parfois... Mais il ne parlait jamais. Enfermé dans un profond mutisme, personne sur l'île n'avait jamais eu l'occasion d'entendre sa voix. Pourquoi ? Personne ne le savait... Traumatisme de la guerre ? Peut-être. Cordes vocales abîmées ? Peut-être. Oubli du langage après des années passées seul sur cette île ? Peut-être...

Il vivotait tranquillement. Son allure avait un peu changée, il était un peu plus mince... Sa musculature était toujours impressionnante, mais plus noueuse, son cou toujours épais mais plus fin, son ventre plus dessiné... La malnutrition avait asséché la graisse et les muscles. Il était toujours aussi fort, c'était une chose sûre. Le ninja mettait un point d'honneur à rester au top de sa forme. Mais peut-être la nutrition moins en abondante, moins protéinée ne jouait pas en sa faveur. La viande n'était pas tellement rare, mais dans un cadre insulaire, on peut venir très très rapidement à manquer. Il ne fallait chasser qu'avec une extrême prudence et une extrême parcimonie afin de préserver cet écosystème à petite échelle. Une seule erreur, et c'était peut être toute l'île qui pouvait disparaître et se résumer dès lors à un banc de sable... En plus de son physique un peu plus élancé, il portait une légère barbe, qu'il essayait de couper régulièrement comme il pouvait, n'aimant pas la sensations de ces poils sur le visage... Mais la coupe n'était jamais très précise, aussi il restait toujours une espèce de barbe de deux trois jours.

Sur son dos, un étrange sac composé de bric et de broc. On pouvait distinguer une sorte de canne à pêche, une hache et des planches de bois... Car après tout, il devait bien renforcer son taudis régulièrement et en assurer l'étanchéité.

Seulement, ce jour là, il se rendait vers la plage. Il avait trouvé une petite crique, entre des rochers, peu connue et dirigée vers l'intérieur de l'archipel. Aucun bateau ne passait par là, et les roches cachant les côtés, il était discret quand il s'approchait des plages. Il pouvait, ici, pêcher tranquillement. Le poisson n'était pas mauvais, ils n'étaient pas très gros, mais ils avaient assez de chair pour faire un bon repas avec un ou deux spécimens. D'autant plus que si l'on avait pas peur de plonger en apnée, on pouvait trouver des espèces d'algues et de crutacés très bons pour la santé. Ces algues apportant énormément de protéines, étant d'ailleurs le seul légume à en fournir autant, cela permettait de compenser le manque de viande rouge.

À quoi pensait-il ce jour là ? Cela faisait longtemps qu'il ne pouvait plus penser, comme par le passé, à ces étranges et superficiels petit tracas de la vie quotidienne... Présentement, ses pensées étaient plutôt de l'ordre de "Que vais-je manger ce soir ?", "Il faudra que je m'entraîne un peu aujourd'hui...", "Je crois que j'ai encore maigri...", "Je me demande ce qu'il se passe dans le monde en ce moment", "Quel jour somme nous ?". Certaines informations tenaient plus de la curiosité qu'autre chose, et parfois, aussi, des nouveaux venus arrivaient sur l'île, emmenant avec eux leur lot d'informations sur leurs origines, ce qu'il était arrivé à leur village...

Traversant les derniers fourrés qui le séparaient de la fameuse crique-aux-bons-poissons, bruyamment comme d'habitude - après tout il n'y avait pas de raison d'être discret de ce côté de l'île, il ne risquait pas d'être repéré - il entendit soudain une voix s'élever, assez aigüe mais déterminée, mais on sentait tout de même un soupçon de frayeur dans le ton. C'était très probablement une voix de femme... Elle semblait... Familière. Mais le jeune ermite ne pu dire à qui elle appartenait, il lui fallait un petit temps de réflexion. Qu'il se permit tout en continuant à avancer.

- Montrez-vous !

Tenant son sac de bric à brac d'un bras, il repoussa les branchages de l'autre. Curieux de savoir à qui appartenait cette voix fluette. Ses yeux balaiyèrent la zone jusqu'à tomber sur une jeune femme vêtue de noir, aux longs cheveux noirs et au teint de porcelaine. La bouche, pourtant fermée depuis la guerre, s'entrouvrit pour lui permettre de relâcher un souffle et lui permettre de respirer comme il fallait, alors même qu'un étonnement chaleureux mais surprenant s'emparait de lui. Il ne la reconnu pas de tout de suite, mais au fond de lui il sentait que c'était quelqu'un d'important. Laissant glisser son sac le long de son épaule et choir sur le sol, il s'avança doucement, un bras devant lui, comme si soudain un tunnel vers le passé c'était ouvert devant lui et dans lequel il hésitait à se jeter...

Une bête sauvage la traquait, elle le sentait.

Un souffle.

Juste derrière elle. Reira se retourna d'un bond, le kunaï pointé devant elle. Le Danger s'effaça en un flot de souvenirs. De naïves petites vagues qui croyaient que les jambes se balançant au-dessus d'elles n'étaient rien. Des nuages idiots lorsqu'ils crurent que ces deux-là ne se reverraient jamais. De sombres crétins que ces oiseaux de mauvais augure qui avaient décidé que c'en était fini, maintenant. Voilà des années qu'elle n'avait plus vu ce visage, et des années qu'il ne l'avait plus quittée. Lui. Une goutte de pluie s'échappa de son oeil et roula doucement le long de sa joue et de son cou, maintenant marqué de fines cicatrices. Les années étaient passées sur ce corps de jeune fille vieillie avant l'âge. D'enfant, son corps était devenu celui d'une femme traquée, toujours sur le qui-vive.

Il était là, enfin. Elle avait eu la chance de vivre jusqu'à arriver au jour des retrouvailles. Elle esquissa un sourire timide, fit glisser son kunaï dans son étui et tendit la main vers la sienne, qui cherchait déjà à la happer. Elle ne songea même pas que ce pouvait être un piège. C'était Lui, un point c'est tout. Un doux frisson se faufila dans tout son corps lorsque ses doigts effleurèrent les siens.

- Salut, tu vas bien ? Dit-elle d'une voix émue mais souriante.

Il avait changé. Je le voyais rien qu'à son regard : il avait retrouvé cet étrange regard vide où l'on apercevait tout de même son âme, tout au fond de ses pupilles, exactement comme ceux d'une vache qui regarderait passer les trains. Je n'étais qu'un train pour lui ? Non. Je voyais sa pupille s'animer, comme s'il éprouvait soudainement une vive émotion. Comme une émotion qu'il aurait oublié. Je lui souriai, franchement. Je sentais à nouveau une douce chaleur s'emparer de mon corps, je savais que je ne pouvais pas y résister. J'y cédais à nouveau, heureuse de capituler.

Il avait maigri. Ca se voyait sur ses joues, sur sa corpulence. Et pourtant je redoutais toujours son aura, sa force. Je remarquais que sa musculature n'avait, à l'inverse, pas souffert de ces années, au contraire. J'avais envie d'être à nouveau protégée de ces bras. Comme au bon vieux temps.

C'était Wazzdaka Waotaka.

L'être que j'avais le plus aimé au monde. Celui dont le visage m'était revenu inlassablement ces dernières années. Que pouvais-je lui dire d'autre ?

Qu'avait-il bien pu vivre depuis ? Je tentais de trouver des réponses en noyant mes questions dans ses yeux. Peu importe la noyade s'il vient me repêcher... !

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